L'Instant Philo : La sagesse et le sens des limites - partie 2. « La science moderne »
Description
La sagesse et le sens des limites. 2. La science moderne.
Du récit mythologique à l’analyse rationnelle du monde
Autour du sixième siècle avant notre ère, les penseurs présocratiques ont cherché à rendre raison de l’univers dans sa totalité à l’aide de principes accessibles à la raison. Pour ce faire, ils ont rompu avec cette facilité qui consiste à vouloir tout expliquer par les récits mythologiques car la volonté des Dieux se révèle bien vite être l’asile de l’ignorance. Les présocratiques ont ainsi fixé à leur manière le domaine de définition de la science. Parmi eux, des matérialistes cherchaient à expliquer la nature à l’aide d’un des quatre éléments. Thalès estimait que tout provenait de l’eau. Pour Héraclite, c’était le feu. Les idéalistes, de leur côté, cherchaient à comprendre le cosmos à partir de principes abstraits : l’être pour Parménide ou le nombre pour Pythagore.
Socrate s’est appuyé sur cette montée en puissance de la rationalité mais, au lieu d’avoir l’ambition de rendre compte du tout de l’univers, il s’est modestement concentré sur une nouvelle façon de définir les notions qui nous servent à penser, que ce soit le courage, l’amour ou la science elle-même. On est passé ainsi d’un grand récit censé éclairer le sens de l’existence humaine à une analyse minutieuse qui, à partir d’un constat d’ignorance, développe ses efforts sur des concepts précis et ambitionne de construire patiemment un savoir limité mais fondé en raison. La rupture étant brutale, il n’est pas étonnant de constater que certains présocratiques ont continué à proposer une vision globale du monde. Le désir d’une compréhension d’ensemble, s’il ne se berce pas d’illusion, reste stimulant dans la recherche scientifique. Toutefois, l’affirmation socratique « tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien » nous rappelle que la philosophie est d’abord un rude exercice qui suppose de faire le deuil des certitudes et d’un rassurant déjà-là des significations.
Ce passage d’une confiance accordée aux grands récits symboliquement structurants à la critique pointilleuse mais éclairante de la raison s’est rejouée lors de l’apparition de la science moderne avec tout ce que cela implique de déchirements et d’espoirs, de rejet de la tradition et de changements de perspective. C’est ce moment de bascule où la conscience des limites de la science médiévale a permis d’accoucher d’une nouvelle représentation du monde dont nous sommes les héritiers que nous voudrions aujourd’hui examiner.
Science moderne et conscience de l’ignorance.
Yuval Noah Harari dans son livre Sapiens[i] souligne l’importance de la découverte de l’ignorance dans le développement de la science moderne. Il écrit :
« A trois égards critiques, la science moderne diffère des traditions précédentes en matière de savoir » Il place en premier : « L’empressement à s’avouer ignorant. La science moderne repose sur le constat latin : « ignoramus », « nous ne savons pas ». Elle postule que nous ne savons pas tout. » Plus loin, il note : « la révolution scientifique a été non pas une révolution du savoir, mais avant tout une révolution de l’ignorance. La grande découverte qui l’a lancée a été que les hommes ne connaissent pas les réponses à leurs questions les plus importantes. » Dans les traditions prémodernes, tout était censé avoir été déjà dit : la seule recherche importante consistait à bien comprendre les récits et les paroles transmises. Harari précise « Les grands Dieux ou le Dieu tout puissant ou les sages du passé possédaient une sagesse qui embrassait tout et qu’ils nous ont révélée dans les Ecritures et les traditions orales »[ii]. Galilée, en remettant en cause la cosmologie de Ptolémée, héritée en partie d’Aristote et