Description
Le Coupable et la Victime
Illustration : Adam et Eve chassés du jardin d'Eden par Masaccio (Eglise de Sante Maria del Carmine, Florence)
Texte de l'émission
L’instant philo Le coupable et la victime. Emission du 05/09/2021
Constats
Un constat tout d’abord : il y a des détresses sans coupables extérieurs, de l’adversité sans adversaire, des malheurs qui nous accablent sans volonté malveillante qui se cachent derrière eux. Il existe des accidents dans nos parcours de vie qui ne peuvent trouver nécessairement de responsables. Cela peut soulager quand on va mal de croire avoir trouvé la cause de nos malheurs dans une personne, un groupe ou un complot quelconque. On préfère croire qu’on est victime d’une grande injustice plutôt que d’être abandonné dans une détresse qui nous paraît absurde ou dont on répugne à chercher l’explication en soi-même. René Girard[i] a su montrer à quel point dans l’histoire la désignation arbitraire d’un bouc-émissaire sur lequel on s’acharne peut être fréquente. Cela sert de soupape de décompression à une société qui passe ainsi du simple constat attristé et parfois désespéré du malheur à l’accusation délirante qui précède souvent de peu la violence. On projette son mal-être sur une personne ou un tout groupe qu’on se plait à haïr, à accabler de tous les maux, voire même à lyncher, persécuter, massacrer. Cela peut faire du bien de faire du mal quand on est mal. Mais la culpabilisation, détournée de sa source rationnelle, devient pure accroche de la haine sur un bouc-émissaire innocent qui sert d’exutoire.
Pourtant, nous pouvons être malheureux sans être victime de qui que ce soit et, par conséquent, sans pouvoir identifier un ou des coupables. Rude vérité tant il est vrai qu’on cherche souvent du sens à sa souffrance personnelle en identifiant une volonté de nuire qui en serait la cause. La souffrance est parfois un symptôme qui ne cache aucune malveillance mais la simple dureté et l’indifférence de l’ordre des choses. C’est alors à nous de nous dégager de ces explications imaginaires qui ne nous soulagent que pour nous plonger dans la haine et le ressentiment. Au lieu de trouver des individus à maudire, mieux vaut balayer devant sa porte
Culpabilisation et victimisation
Toute culpabilisation des autres n’est pas pour autant à rejeter. Avec les mouvements « Me-too »[ii] et « Black lives matter », la parole de certaines victimes a pu se faire entendre et l’impunité de certains coupables être mis à mal. On peut comprendre que des thèmes liés au contexte historique et culturel nord-américain - insistance sur la race ou influence du puritanisme - puissent devenir problématiques dans la réception de ces mouvements. Mais, on ne va pas se plaindre d’une mise en accusation légitime de délinquants ou de criminels ni d’une saine reconnaissance des droits et de la dignité des victimes. Ce n’est que justice.
Ensuite, que des personnes prennent prétexte du statut de victime pour se venger ou exorciser leur mal-être à l’aide d’accusations infondées : ce n’est pas nouveau. Il n’est pas rare non plus que des coupables se présentent comme des victimes[iii]. Dans le récent film iranien de Saeed Roustayi, La loi de Téhéran, un juge rappelle à un important dealer qui justifie ses actes par l’insupportable pauvreté dans laquelle se trouvait toute sa famille que la misère sociale ne peut justifier l’organisation de tout un réseau criminel. Le fait de se sentir victime peut être une posture servant à justifier l’injustifiable. Au point que certains criminels n’hésitent pas parfois, de façon perverse, à tenir leurs victimes comme les vrais coupables.
Victimisation et culpabilisation constituent, on le voit, des leviers importants dans les relations