Description
Religion animiste et représentation du monde
Illustration : MasqueYupik, tribu inuit animiste (Musée du quai Branly)
Texte de l'émission :
L’instant philo. Emission du 16 mai 2021
Religion animiste et représentation du monde
Introduction
Une bande dessinée originale d’Alessandro Pignocchi intitulée Petit traité d’écologie sauvage propose en trois tomes une sorte de fable plutôt déconcertante. L’auteur imagine en effet un monde où toute l’humanité s’est convertie à la religion animiste des peuples d’Amazonie pour lesquels « les plantes et les animaux sont considérés comme des partenaires sociaux ordinaires »[i]. Pignocchi imagine ainsi un Donald Trump qui déserte les terrains de golf et les meetings pour se consacrer à l’observation des belettes. Un François Hollande qui fait arrêter son chauffeur, toutes affaires cessantes, pour faire une invocation à l’esprit du hérisson qui vient d’être écrasé involontairement. Enfin, un Vladimir Poutine qui annonce solennellement que le mariage avec des fruits et des plantes sera autorisé. On le constate aisément, cette bande dessinée nous place dans un univers complétement décalé et utopique.
Mais quel intérêt de proposer une telle fiction ? Est-ce seulement une fantaisie faite pour nous distraire ? Et que faut-il entendre précisément par animisme ? Qu’est-ce qu’une telle religion qui nous semble dépassée, désuète et même superstitieuse peut encore nous apprendre ? L’animisme, avec sa représentation du monde si particulière, peut-elle vraiment nous apporter quelques utiles éclaircissements en ces temps de crise écologique ?
Une définition de l’animisme selon l’anthropologue Philippe Descola.
Pour comprendre les enjeux de ce récit de politique-fiction très étrange que propose Alessandro Pignocchi, quelques précisions sont nécessaires. Ce dessinateur a été très influencé par un disciple de Claude Lévi-Strauss, l’anthropologue Philippe Descola qui a notamment étudié les Achuar, un peuple animiste d’Amazonie.
Qu’est-ce que l’animisme ?
« L’animisme est la propension à détecter chez les non humains – animés ou non animés, c’est-à-dire les oiseaux comme les arbres – une présence, une âme si vous voulez, qui permet dans certaines circonstances de communiquer avec eux. » déclare Philippe Descola. Les animistes estiment ainsi que tous les êtres sur terre partagent une même intériorité constituée de pensées, de désirs, de volonté, de mémoire, etc. En conséquence de quoi demandes, prières et invocations diverses peuvent être adressées indifféremment à un humain, un animal ou à une plante. On peut trouver dans Le seigneur des anneaux, ce roman de Tolkien qui était féru d’histoire des religions et de mythologies, plusieurs illustrations de comportements animistes. A un moment par exemple, les hobbits traversent une forêt dense et dangereuse et ils se retrouvent à négocier et discuter avec des arbres pour trouver une issue favorable.
Une religion dépassée ?
Pour nous de toute évidence, une telle manière de concevoir les choses semble naïve et même superstitieuse. Il est facile et légitime de pointer ici une illusion qui a pour nom anthropomorphisme – c’est-à-dire une propension à accorder à un être qui n’est pas humain une forme et des caractéristiques humaines, en l’occurrence une conscience et une pensée. On comprend d’ailleurs mieux ainsi pourquoi la religion animiste a eu un tel succès : imagine-t-on les hommes préhistoriques face à un monde dont la logique, faute d’avoir les explications scientifiques que nous détenons, leur échappent totalem