Description
Au Burkina Faso, à quelques maigres exceptions près, tous les prétendants à la magistrature suprême sont redevables de quelque chose au président déchu. Le tout est de savoir se démarquer de l’homme, tout en tirant abondamment profit de son héritage. Jean-Baptiste Placca répond à Olivier Rogez.
Olivier Rogez : Au Burkina Faso, la campagne pour la présidentielle du 11 octobre 2015 donne lieu à quelques échanges feutrés, sur un thème lourd de sens : la proximité avec Blaise Compaoré. Entre les principaux candidats, c’est à qui se démarquera le mieux de l’ancien président, pour mieux reprocher à l’autre de ne l’avoir pas quitté suffisamment tôt. Mais, de ce jeu de dénigrement, dites-vous, tous risquent de sortir perdants…
Jean-Baptiste Placca : Dans l’ensemble, la campagne a plutôt de la tenue, et certains meetings sont même impressionnants. Mais, à force de dépeindre leurs adversaires comme des opposants de la dernière heure, le discrédit finit par rejaillir sur l’ensemble de la classe politique.
Leurs concitoyens n’attendent pas d’eux qu’ils prouvent en quoi ils se démarquent, mieux que leurs adversaires, du régime de Blaise Compaoré. Les Burkinabè n’en sont plus à vouloir savoir qui a quitté le navire de l’ancien régime plus tôt que l’autre. Ce n’est certainement pas sur cette base que ce peuple choisira son futur président. La probité du candidat, sa capacité à fédérer la nation et à la remettre au travail semblent bien plus importantes que la capacité à se démarquer de l’ancien régime. Au regard des critiques que l’on a pu entendre contre Blaise Compaoré, en octobre 2014, l’on peut penser que le peuple burkinabè aspire à un leadership qui lui permette de construire une démocratie véritable, un Etat juste et équitable, une nation dans laquelle les meilleurs pourront s’épanouir à la mesure de leur talent, sans que les plus vulnérables soient abandonnés à leur triste sort.
La proximité passée avec l’ancien régime demeure, sinon une tare, du moins un point négatif pour tout candidat…
Si l’on recherche des gens sans aucun lien avec Compaoré, il n’y aurait plus aucun candidat, à part, peut-être, les « sankaristes », et encore ! Blaise Compaoré a marqué le Burkina au fer rouge. Tous les acteurs politiques de premier plan lui doivent quelque chose. Ils ne devraient d’ailleurs pas avoir à rougir d’avoir servi leur pays sous Compaoré.
Aussi, est-on quelque peu perplexe, lorsque l’on entend le candidat Ablassé Ouédraogo se prévaloir de sa grande expérience internationale, tout en prenant ses distances avec Compaoré. Ceux de ses adversaires auxquels il reproche d’avoir rejoint trop tard l’opposition pourraient lui rétorquer que lui, Ablassé, ne serait jamais devenu le « numéro deux » de l’Organisation mondiale du commerce sans l’entregent diplomatique de Blaise Compaoré. Ils pourraient lui rappeler que c’est à Compaoré qu’il doit tous les autres postes prestigieux qu’il a pu occuper, de par le monde, ces vingt dernières années.
Bref, comme dit un adage africain, l’on ne peut haïr les brebis et adorer leur lait…
Adorer leur lait et s’en vanter ! Cette observation est aussi valable pour Zéphirin Diabré, dont la page Wikipédia tait opportunément les responsabilités ministérielles qu’il a eues dans les gouvernements du Burkina sous Blaise Compaoré. Avant de devenir directeur général adjoint du Programme des Nations unies pour le développement, Monsieur Diabré a été conseiller du président Blaise Compaoré. Autant il a le droit de souligner son antériorité par rapport à d’autres dans l’opposition au président déchu, autant ils n’ont pas tort, tous ceux qui soutiennent que la diplomatie agissante du même président déchu a