Du fond de ma cellule, le 10 mai 1981...
Description
Au-delà de la surabondance des insinuations sur les étrangers, vécues sur le continent comme autant d’attaques blessantes, c’est la promesse de rupture avec la Françafrique, faite par le candidat socialiste, qui retient l’attention des Africains dans la campagne du second tour de la présidentielle en France. Il assure que s’il était élu, il ne cautionnerait pas des élections frauduleuses. Mieux, qu’il veillerait à ce que les relations avec l’Afrique ne reposent plus sur… « des usages inacceptables ». Ce sont ses mots. Sans doute l’aurait-on cru sur parole, si l’Afrique, en matière de promesses de rupture, n’avait dû si souvent déchanter. Cet espace temps n’a pas vocation à recueillir mes histoires personnelles. Mais comment résister à l’envie de vous imposer celle-ci ?
Le 10 mai 1981, je croupissais dans une cellule de la gendarmerie nationale, siège de la police politique dans mon pays. Suspecté d’avoir lu un journal d’opposition, je partageais une petite cellule avec une trentaine de personnes : des détenus politiques, mais aussi des prévenus de droit commun, en attente d’être déférés devant des juges, pour grand banditisme ou même crime de sang.
Pour le second tour de la présidentielle, en France, l’un de nos geôliers nous avait loué, très cher, sa petite radio. Pour suivre les résultats, en ondes courtes, sur RFI, nous étions agglutinés autour du transistor. Volume très faible. Question de prudence…
A l’annonce de la victoire de François Mitterrand, nous avons tous bondi de joie. Tout excité et sautillant comme un petit garçon, un ancien ministre du Commerce ne cessait de me répéter : « C’est la chance de notre vie ! Nous allons sortir d’ici ! Avec Mitterrand à l’Elysée, c’en est fini des violations des droits de l’homme dans le pré-carré français ! ».
Je m’efforçais de ne pas trop étaler mon enthousiasme, de peur de dévoiler un secret. Cinq jours plus tôt, une amie m’avait apporté un message verbal de Robert LaGamma, directeur du Centre culturel américain de Lomé, qui me faisait dire que mon cas était désormais connu de la Division des droits de l’homme, au Département d’Etat américain, et qu’il avait par ailleurs demandé au correspondant de l’Agence France Presse au Togo, rentré depuis peu à Paris, de sensibiliser son père sur ma situation, en cas de victoire. Ce correspondant s’appelait Jean-Christophe Mitterrand.
Je ne serai libéré qu’après six mois de détention, et l’élection de François Mitterrand n’y aura été pour rien. Pire, j’apprendrai, en sortant, que Jean-Christophe Mitterrand était, entretemps, devenu le nouveau meilleur ami du général. Et vive la Françafrique !
Lire dans les commentaires le droit de réponse de Jean-Christophe Mitterrand ainsi que les explications de Jean-Baptiste Placca.