Lʹœil La structure mystérieuse et colorée de lʹiris - en son centre, la pupille, qui est nuit et source. Partout où il y a des humains : les yeux - lʹémotion quʹils suscitent. Des voix sensibles et pures et transparentes et tremblantes comme des prunelles… Tu écoutes Quoi - tu écoutes les yeux.

Dur - cassant - tranchant, douloureux parfois. Etincelant. Fragile. Du sable et du feu - opaque dʹabord, comme les premières perles de verre que des humains apprirent à fabriquer sitôt quʹils maîtrisèrent assez l'art de la flamme. De Perotin à Brian Eno, du vitrail au microsope, de Saint-Saëns à Meshuggah, la musique sonne comme du verre.o

La délicatesse de leurs pétales oublieuses. Et puis les pétales tombent et le fruit mûrit - Si tu lʹincises au petit matin, il en coule un lait étrange, qui apporte le sommeil et soulage les douleurs. Bientôt ce lait sʹassombrira et brunira et noircira, et les humains dolents apprendront à le sécher, à le cuire, à le brûler, à en absorber le parfum, à en élaborer des teintures. Et ces teintures et et ce mélasses et ces distillations les délivreront quelques instants des blessures de leurs...

Actrices dʹun espace de transgression, cachées ou poussées dans des périphéries ou des maisons closes, chargées de stigmates, fantasmées, abusées, contraintes souvent, libres parfois. De Lotte Lenya à Jacques Offenbach, de Lucille Bogan à Chavela Vargas, QUOI demande à la musique ce qu'elle sait d'elles.

La folie. Instabilité, anomalie, souffrance. Le fou, la folle: qui voit ce que personne ne voit. Médiumnisme, solitude. La folie maltraitée, refusée, enfermée. Cousine du génie - et sa mortelle adversaire. De Meredith Monk à György Kurtag. De Don Quixote au Joker, Antonin Artaud nous attrape la main.

Grands, lumineux, sombres, insaisissables. Nés de l'eau, du soleil et du vent. Peuplés d'anges et de dragons. Leurs métamorphoses majestueuses, lentes. Tu les contemples. Tu les écoutes. Quoi? Les nuages. Les merveilleux nuages.

Cliquetis, balanciers, fluides sonores, cadrans solaires, pulsations, déphasages - Tu remontes la fatale mécanique et tu écoutes Quoi - tu écoutes: le temps -

Quand la musique nous dit l'esclavage

Les tulipes. Fraîches, croquantes. Tu les achètes en bottes pour quelques francs, respirant mal dans le cellophane. Mais tu imagines ce que cela devait être il y a mille ans, dans la solitude immense des steppes dʹAsie centrale qui les virent naître, de voir frémir dans sous la brise ces flammèches couleur de lèvres, couleur de sang ? .

Fantasmé. Volé. Torride. Fatal. Céleste. Du délire glamour de Lehar à l'obsession solitaire de Schubert. De l'ardeur amusée de Mozart à la folie morbide de Strauss. De l'érotisme pudique d'une chanson napolitaine aux lèvres sucrées du Liban antique. Quoi? Le baiser.

Dissimulation - Métamorphose - Epouvante Pour devenir qqn dʹautre. Pour appeler les dieux. Pour sortir de toi-même.

Nains de jardin, nains maléfiques, nains du roi. Nains moqués. Nains plus humains que les humains qui ne sont pas nains. La figure du nain interrogée pas la musique. Quoi? Des nains.

Tiens: j'ai cherché dans la musique lʹétoffe dont sont faits les songes.

Seuil, passage. Fin et commencement. Grinçante et lourde, ou invisible. De la voix-écharde d'Ines Bacan aux Portes du Paradis, de la terrible porte aux soupirs de Pierre Henry aux seuils initiatiques de Mozart, de Virgile à William Blake, de Babylone à Florence: l'oreille collée aux portes, tu écoutes Quoi -

Devant la merveilleuse délicatesse dʹune une toile dʹaraignée, tu peux contempler les fils, ou le vide entre les fils. Peut-être qu'il en va de même de la musique ? Que tu peux écouter le son, ou le silence en elle et autour d'elle? La musique : comme une fenêtre pour contempler les paysages et les ciels changeants du silence.

Le loup quʹenfant tu crains. Le loup quʹenfant tu admires. Protecteur ou sanguinaire. Gueule ouverte, langue rouge. Ses traces sur la neige. De la vièle kazakh à la musette occitane, du théâtre élizabétain à la poésie de Paul Eluard, du loup mythique Fenrir à la Bête du Gévaudan, tu écoutes Quoi - Tu écoutes: le loup.

"Incertitude, oh mes délices - Vous et moi nous nous en allons - Comme sʹen vont les écrevisses - A reculons, à reculons" DʹApollinaire à Eroll Garner, de Bach à Brigitte Bardot, Quoi écoute la musique de quoi ? - de lʹincertitude ?

Effraies, chevêches, grand-ducs. Harfangs blancs comme neige. Silence de l'envol au crépuscule. La chouette clouée aux portes des maisons pour effrayer le malheur lui-même. Hiboux: intelligence de la nuit, sagesse de la contemplation des ténèbres. J'ai demandé à la musique de me dire Quoi - les rapaces nocturnes.

Les dents. Organes singuliers. Lʹémail et la pulpe. Horrifiques, érotiques, sensuelles, sensibles. Ici tu touveras la musique des dents.

L'adieu. Comme une bénédiction et comme une promesse. Naissance du manque, et liturgie. La désolation et l'attachement. La musique de l'adieu.

Figure de la mélancolie et lieu de lumière. Matrices froides. Etincelants et clos.

La danse macabre : des squelettes entraînent dans leur danse les vivants. Tous les vivants. Tous égaux. Une danse, une fête du corps pour célébrer la Faucheuse tout en disant une fois encore : je vis, je jouis et je danse, et jʹinvente de la musique et de la poésie pour jouir et danser avec la mort.

Ses brins souples et fragiles. Son tremblement. Frissonnante sous tes pieds nus. De Sappho à Tom Waits, de Rimbaud à Bach: tu écoutes Quoi - tu écoutes l'herbe.