Episodes
Cette dernière séance nous permet de considérer le son direct, ferment du cinéma documentaire. Le genre à propos duquel le preneur de son Antoine Bonfanti disait : « le son y est politique ». Ici Loznitsa engage une grande liberté de forme, tant avec l’image qu’avec le son. Son film nous montre comment le son peut engager notre regard à scruter l’image plus loin encore. Il nous incite à penser la forme comme dispositif d’analyse. Comment faire mieux entendre un réel saturé, fouiller dans le...
Published 11/28/22
Published 11/28/22
L’exemple est suffisamment rare pour devoir le montrer. Après Thérèse (1986), voilà un long-métrage de fiction qui, en raison de son contenu – la privation de liberté, la liquidation d’une population – abandonne dialogue et musique pour ne faire confiance qu’aux sons. Pourquoi une telle radicalité ? Comment ce principe peut-il tenir face à l’exigence de notre écoute insatiable, habituée à recevoir des films surchargés? De combien de sons a-t-on besoin pour faire « tenir » une image? Face à ce...
Published 11/23/22
Le passage dans l’autre monde s’effectue en draisine. La persistance de modulation du roulement du wagonnet introduit peu à peu le spectateur à la conscience du sonore du film. La découverte du reste suivra, ou pas, car le reste du sonore ne sera plus jamais autant souligné. La projection unique ne suffit pas à faire apparaître le son; il serait nécessaire de faire retour plusieurs fois sur l’écoute. Pour être repéré, le son nécessite une réécoute. Or le cinéma travaille savamment à faire...
Published 11/13/22
C’est la grande liberté prise par Van der Keuken qui nous étonne dans ce triptyque consacré à l’œuvre du peintre et poète hollandais Lucebert. Il approche la démarche de l’artiste, activant par le son autant l’à-plat des images que les espaces extérieurs qui entremêlent leurs couleurs. Il offre tour à tour au son et à l’image la place de la pâte colorée ou bien de la figure. Sa confiance dans la musique de son temps n’a d’égale que celle qu’il porte à ses sons, et cela tout au long de son...
Published 11/07/22
Mais de quel son veut-on parler ici ? Qu’aurait-il de si sensationnel ? Eh bien justement, cette faculté de s’adresser directement à nous par la sensation autant que par le sens. Le son s’introduit discrètement par la pertinence de son ajustement avec une partie de l’image. Cette adéquation simple s’effectue par la raréfaction nécessaire à la désignation. Par surgissement, on désigne avec le son ce qui de l’image doit être activé. Pour la première séance, c’est un modèle de désignation qui va...
Published 10/21/22
Documentaire ? Fiction ? L’un et l’autre, sans cesse et absolument. Kiarostami reconstitue un fait divers dont le cinéma est la matrice, l’enjeu, le territoire. Un imposteur se fait passer pour un cinéaste connu et entraîne une famille tout entière dans le cercle de la croyance. Il est arrêté et jugé pour cette imposture. Mais au cours du procès – filmé – l’imposteur tient un discours de vérité qui renverse la situation. Tous les personnages sont interprétés par les vrais personnages. Les...
Published 06/27/22
Deux films récents au programme. J’ai rapproché ces deux films car ils creusent l’un et l’autre le rapport problématique entre prise cinématographique et prise de réel. Comment rencontrer pour le filmer ce réel qui se dérobe ? Que peut-on faire de ce qui disparaît quand on le filme? Avec celui de la mort, filmée, racontée, le thème de la disparition est commun aux deux films. Au terme ou presque de cette traversée de l’histoire du cinéma sous influence…, nous savons que le cinéma dit «...
Published 06/27/22
Quelle vérité scandaleuse, quelle force subversive, quel trouble ne naissent-ils pas de la parole filmée à condition qu’elle soit, comme ici, écoutée avec patience et constance, qu’elle soit prise et reprise avec obstination. Mais aussi: comment l’histoire avec un grand H passe-t-elle par l’intime des corps ? Comment la violence politique, l’exhibition des amours et le trafic des familles peuvent-ils se montrer à ce point entrelacés ? L’Histoire du Japon racontée par une hôtesse de bar...
Published 06/14/22
À dix ans d’intervalle, ces deux films dits « militants » posent la question cruciale de l’émergence du sujet dans la lutte sociale. Tel serait aussi l’héritage de 68: qu’il ne s’agit plus de lutter au nom des autres, classe, groupe, syndicat, mais de reprendre le fil de la lutte sociale en son nom propre, depuis sa position subjective, en sachant ce qu’il en coûte et ce que l’on y gagne. Quoi? Une parole vraie, hors de tous les langages convenus. Un courage qui n’est plus breveté. Une sortie...
Published 06/14/22
Le cinéma et la guerre (la 2ème). Trois films entre 1942 et 1946, dont deux à travers quelques citations: Desert Victory (Roy Boulting, 1942-43), Memory of the Camps (Sidney Bernstein, 1945-85), Let There Be Light (John Huston, 1946). L’hypothèse qui court ici est que la place du spectateur et les modalités de son désir de croire dans le cinéma ont changé après 1945 et la mise en circulation des images tournées au moment de la libération des camps de la mort nazis par les Alliés. Quand les...
Published 06/08/22
Terre sans pain est un étrange film, qui reste soixante-dix ans plus tard aussi scandaleux qu’en son temps. Encore une fois, ce « documentaire » est fabriqué comme une fiction. Répétitions, prises multiples, mise en scène, découpage… il s’agit pour Buñuel de contrôler la réalité des Hurdes, de ne pas se laisser griser ou gagner par la charge de réel, et donc de charme ou de mystère, que rencontre inévitablement tout tournage documentaire. Pourquoi? Tout simplement pour pouvoir noircir le...
Published 06/08/22
Nous sommes à la veille de l’entrée en scène du son synchrone. La caméra 16mm Éclair-Coutant est sur le point de naître. Mais quand il tourne Moi, un Noir, Jean Rouch n’en dispose pas encore. Inspiré et guidé par ses amis nigériens d’Abidjan, Rouch tourne en 16mm Kodachrome et en son témoin ce drôle de documentaire, où il y a un scénario, des dialogues, des acteurs, une intrigue, des scènes de rêve, tout cela nourri et documenté par l’errance réelle de ces exilés d’une colonie dans une autre....
Published 06/01/22
Filmer pour voir, filmer pour comprendre. Dans L’Homme d’Aran, Robert Flaherty suppose, hypothèse, que le monde resterait fragmentation et chaos, menace et mort, s’il n’y avait le cinéma. Qu’en est-il de ce qu’on appelle « documentaire »? Que nous apprend la pratique de celui qui passe pour avoir fondé le genre? Perdu sur son île qui est en même temps salle de montage et labo, Flaherty se demande jour après jour si, pour lui, la seule « réalité » n’est pas la réalité filmée, si, autrement...
Published 06/01/22
Hymne à la toute-puissance du cinéma, "L’Homme à la caméra" (Dziga Vertov, 1929) reste l’un des films les plus étonnants de l’histoire. Moins le manifeste d’un nouveau « cinéma-vérité », comme le voulait son auteur, que le déploiement sans frein des vertiges du montage. Ici, la théorie du cinéma s’inscrit à même la pellicule, dans un ballet paroxystique de jeux de miroirs et de truquages ; et dans la liaison fatale entre l’analyse du mouvement et sa synthèse se jouent la vie et la mort des...
Published 06/01/22
Comment recevoir aujourd’hui l’émerveillement et l’effroi tout ensemble des spectateurs de la première séance du cinématographe Lumière ? Quelle était cette peur, cette surprise ? Le cinéma s’est fondé sous le double signe du spectaculaire et de l’infra-visible : la locomotive surgissant sur l’écran et la tremblée des feuilles aux arbres du jardin. À partir de la projection de quelques-uns des films Lumière, cette séance inaugurale entend prendre acte des ambiguïtés qui marquent la naissance...
Published 06/01/22